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Interview d’Alice Coffin : « Je ne comprends pas pourquoi la gauche est si timorée »

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Militante féministe, élue écologiste au conseil de Paris, Alice Coffin utilise dans son mandat ses techniques d’activiste. Elle voit dans l’«opposition à toute radicalité l’émanation d’une pensée libérale». Selon elle, les critiques à l’encontre des militants écologistes et féministes ont une même origine : la domination d’une élite masculine. Entretien avec l’autrice du «Génie lesbien».

Alice Coffin est élue écologiste au conseil de Paris et autrice du Génie lesbien (Grasset, 2020). Elle est cofondatrice de nombreuses associations féministes — la Conférence européenne lesbienne, la LIG (Lesbiennes d’intérêt général)… — et membre du collectif La Barbe.

Reporterre — Vous êtes militante féministe, et, depuis juin dernier, élue écologiste au conseil de Paris en tant que personnalité de la société civile. Quel est le lien entre ces combats?

Alice Coffin — Je suis sidérée des points de rapprochement entre les combats féministe et écologique. Ils sont tous les deux traités de la même façon dans le champ médiatique. On leur oppose la rhétorique du champ fasciste, dictatorial et autoritaire.

Comment lutter contre la marginalisation des discours écologique et féministe?

Il y a deux options. Est-ce qu’on se dit : allons-y progressivement pour faire adhérer un maximum de gens? Ou faut-il y aller frontalement en pointant des adversaires, en entrant en résistance massive contre eux?

Dans le féminisme comme dans l’écologie, nous sommes dans un registre de l’évidence, dans le domaine du péril et du danger. Tout le temps consacré à rallier à la cause est une catastrophe. Pour le féminisme, cela signifie plus de femmes tuées et pour l’écologie, plus d’humains qui disparaissent. En même temps, il faut réussir à canaliser cette colère pour ne pas perdre la raison, désespérer et au final abandonner. Cela passe par la politisation de ces sujets. Il faut comprendre qu’on est dans un rapport de force, dans une bataille de l’énonciation. Il faut rendre certains mots acceptables comme le mot féminicide qui a failli être dans la loi. Cette bataille des mots est extrêmement importante parce qu’elle forge un imaginaire, des représentations. Le combat lexical est crucial.

Dans votre livre, vous évoquez «votre corps d’activiste» qui «transforme une présence en action». Peut-on y voir un parallèle avec les actions de désobéissance civile, comme celles d’Ende Gelände lorsque des militants bloquent une mine de charbon? Engager les corps dans la lutte permet-il d’ébranler le système?

C’est un moyen efficace pour faire valoir ses idées. Je pense par exemple aux actions du collectif la Barbe : l’utilisation de notre corps d’activiste permet d’interrompre l’homogénéité de certaines places de pouvoir [1]. Des lieux avec des hommes tous habillés avec le même costume, qui ont tous la même couleur de peau, les mêmes codes, les mêmes rites, les mêmes corps.

Cela me fait aussi penser à l’intervention de l’actrice Aïssa Maïga durant les César. Un corps de femme noire face à une assemblée culturelle dominée par un pouvoir masculin, la scène maximale du patriarcat. Ce qui gêne, ce n’est pas seulement son discours mais aussi son corps. Un corps qu’on ne doit pas voir, qui est fait pour être dissimulé et caché, sauf dans le formatage qui a été prévu pour lui. On l’a aussi vu dans l’épisode de la robe de Cécile Duflot à l’Assemblée nationale. Nous sommes face à une singularisation de la femme en tant que corps, là où les hommes font bloc. Cela montre que nos logiciels de pensée ont été faits en fonction d’un standard masculin.

© Reporterre

Vous avez révélé l’affaire Christophe Girard [2], ce qui vous a valu d’être harcelée et placée sous protection policière. Malgré tout, vous avez gagné et l’élu a été exclu. Le jeu en valait-il la chandelle?

Il n’y a pas de victoire féministe et rien n’est jamais vraiment gagné. Pour Christophe Girard, les gens étaient au courant. Anne Hidalgo, ses conseillers, étaient prévenus que j’allais faire un fil Twitter pour demander sa démission. Je leur disais que cela allait faire du bruit, mais ils ne m’ont pas écoutée.

Le jeu en valait-il la chandelle? C’est une question que je ne me pose jamais, dans le sens où je joue le jeu tout le temps. Il y a des combats qui marchent, d’autres qui ne marchent pas. Je me méfie aussi des critères sur lesquels on évalue la réussite d’une action. En revanche, le coût était élevé et on m’avait prévenue. Je pensais être habituée au cyberharcèlement mais mon statut d’élue a engendré une violence décuplée — ce qui est très préoccupant pour les instances démocratiques. Aujourd’hui, je ne peux pas dire un mot sur les réseaux sociaux sans être attaquée. J’ai beau croire que ce n’est pas grave, mais au fond, cela inhibe. Mon activité sur les réseaux sociaux était de valoriser des personnes mais désormais, je ne leur rends pas vraiment service en accolant leur nom au mien.

Au-delà de ça, ce qui s’est passé en six mois est extrêmement important. Rémi Féraud, le chef du groupe socialiste au conseil de Paris, disait en août qu’il ne partageait pas mes combats. Six mois plus tard, Christophe Girard a été exclu de la majorité municipale. Cela montre l’importance d’être à la fois dans les institutions et à l’extérieur.


Est-ce pour cela que vous avez décidé de prendre des responsabilités politiques?

Complètement. Être à l’intérieur est le meilleur moyen de percevoir des dysfonctionnements, de pouvoir formuler des critiques et de proposer autre chose. J’avais besoin d’entrer dans le vif de la production des lois et des règlements, de mieux comprendre le fonctionnement du Conseil de Paris, parce que j’avais l’impression d’être ignorante des mécanismes politiques.

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Quels sont ces mécanismes?

Ce ne sont que des impressions mais, tout de même, que de discussions de cour de récréation perdues à disséquer les stratégies de l’adversaire, anticiper ou fabriquer des coups de billard à trois bandes… La prégnance du combat électoral et de la lutte pour les titres est impressionnante.

J’ai aussi été marquée par les réactions face au type d’actions que j’ai essayé de mettre en place : une certaine pensée dite de gauche, en politique ou dans les rédactions, totalement anhistorique; une opposition à toute radicalité – opposition qui est l’émanation d’une pensée libérale -; l’idée que les choses vont aller naturellement dans le bon sens. Il faut combattre frontalement les tenants du patriarcat et de la toute-croissance. Ce n’est pas un discours guerrier mais de résistance et de soutien aux populations opprimées par ce système. Je ne comprends pas pourquoi la gauche est si timorée, alors qu’il n’y a plus grand-chose à perdre.

Le monde politique est régulièrement secoué par des affaires de harcèlement envers les femmes. Comment faire pour que les partis politiques s’affranchissent des rapports de domination des hommes sur les femmes?

Arrêtons de nommer des hommes! Car la concentration d’hommes dans un même lieu de pouvoir favorise les agressions. Cela a été étudié par exemple dans les clubs sportifs, où les encadrements sont très masculins, ce qui limite les possibilités d’entendre la parole des victimes.

Quand les partis vont-ils faire plus attention avant d’inscrire des gens sur leurs listes? À quel moment le comportement des hommes deviendra-t-il un critère qui ne sera pas relayé au second plan par rapport aux carnets d’adresses et aux réseaux qu’ils ont tissés? Nous devons avoir une intransigeance maximale sur ce sujet, arrêter d’envoyer des fleurs ou des commentaires élogieux à des Nicolas Hulot, des Stéphane Pocrain, des Marc Guillaume pour justifier qu’on continue de travailler avec eux.

Dans votre ouvrage, vous citez la sociologue Christine Delphy, l’une des fondatrices du Mouvement de libération des femmes (MLF), qui dit : «Quand une féministe est accusée d’exagérer, c’est qu’elle est sur la bonne voie.» La radicalité est-elle indispensable pour faire bouger les lignes?

Quand il m’est reproché d’être trop «radicale», cela traduit surtout une volonté de marginaliser mon discours féministe. La position «capitaliste patriarcale» cherche à se maintenir en plaçant celles et ceux qui la dérangent hors du champ du raisonnable et du rationnel. On nous accuse d’être dans l’exagération, d’être des groupes déviants — des accusations parfois proférées également à l’encontre des écologistes. On m’a souvent ramenée à mon vécu pour justifier ma prétendue radicalité. «Elle a dû se faire tabasser par son père pour tenir des propos pareils.» Mais non, d’une part ce n’est pas vrai, et d’autre part ce qui explique mon combat, c’est le spectacle quotidien du monde patriarcal.

Je n’ai pas l’impression d’être trop radicale. Au moment de la mort de Gisèle Halimi [avocate et militante féministe connue pour avoir défendu dans les années 1970 des femmes accusées d’avortement], en juillet 2020, j’ai lu et entendu : «Regardez, c’était le beau féminisme, raisonnable, avec qui on pouvait discuter», en opposition avec le «néoféminisme radical de cette Alice Coffin qui fait n’importe quoi». Mais dernièrement, l’Institut national de l’audiovisuel a ressorti une vidéo qui date de l’année de ma naissance, en 1978, qui montre que Gisèle Halimi essuyait exactement les mêmes reproches que moi.

Ma stratégie est presque trop courtoise. Je discute beaucoup, je suis même allée parler à Frigide Barjot (la première porte-parole du collectif homophobe La Manif pour tous). Mais, en revanche, je suis très tranchée sur l’objectif. J’estime qu’on a laissé suffisamment de temps aux hommes pour nous filer un coup de main. S’ils ne le font pas, c’est peut-être qu’ils n’en ont pas vraiment envie. J’entends bien qu’ils puissent être prisonniers dans leur rôle et leurs assignations, mais je ne crois pas à un «féminisme de la complémentarité» qui épargnerait les hommes. Il faut arrêter de croire que tout le monde va être gagnant dans cette grande révolution féministe. Certains vont perdre des privilèges immenses. Regardons les portraits des présidents de la Ve République. Ils sont tous hommes, blancs, valides [qui ne sont pas en situation de handicap]. Est-ce radical de dénoncer cela? Je ne crois pas.
Vous dites que vous êtes devenue une meilleure journaliste en étant activiste. Vous vous positionnez à contre-courant de ce qu’on enseigne dans les écoles de journalisme, qui apprennent «l’objectivité» — le fait de ne pas faire intervenir l’affect, son histoire personnelle dans ses articles. En quoi cette «objectivité» est-elle dangereuse?

Il y a des points communs très forts entre le journalisme et l’activisme. Être journaliste, c’est dévoiler et rendre visible ce que des gens ont intérêt à conserver dissimulé. Et c’est exactement ce que j’ai fait en tant qu’activiste! À La Barbe, on rendait visibles des assemblées d’actionnaires à majorité masculine. On portait des fausses barbes pour faire exploser à la face du monde leur entre-soi par un effet miroir, une réalité qu’ils avaient tout intérêt à garder cachée.

Et au fond, ce dogme de l’objectivité est bidon. Déjà, parce que les journalistes ne peuvent pas tout raconter du réel et doivent choisir ce qu’ils jugent digne d’être publié. Comment ce choix est-il fait? Il est le résultat d’un point de vue, au sens littéral : j’habite dans telle ville, dans tel arrondissement, à tel étage, et ma vision des choses me donne telle ou telle idée de sujet. Mon récit de l’information ne sera donc jamais neutre.

Mais ce qui est plus grave, c’est que la vulgate journalistique nous fait croire que certains pourraient être objectifs. Le label d’objectivité est, aujourd’hui, réservé à la subjectivité des dominants. Comme le dit la journaliste Sihame Assbague«la neutralité journalistique n’existe absolument pas mais est souvent utilisée comme arme pour marginaliser les journalistes minorisés. On va douter d’un journaliste arabe qui écrit sur la colonisation mais pas d’un journaliste blanc qui écrit sur le même sujet». Cet accaparement du label de l’objectivité donne un levier immense à ceux qui peuvent s’en prévaloir.

© Reporterre


Quel regard portez-vous sur la course aux présidentielles, à gauche et notamment chez les Verts?

J’ai beaucoup d’admiration pour Sandrine Rousseau, qui s’est déclarée candidate. Cela demande beaucoup d’énergie et de courage d’entreprendre cette démarche. Je ne comprends pas que Yannick Jadot et Éric Piolle veuillent se présenter tout en se revendiquant féministes. J’aimerais qu’ils se disent : «Ce ne sera pas nous, mais ce serait bien qu’on ait une femme candidate, pas un énième homme blanc.» La primaire 2017 de la gauche, c’était six hommes sur sept candidatures. La Une de Libération d’août 2020 sur les candidats de gauche putatifs pour 2022, six hommes. J’aimerais que les femmes de tous ces partis se parlent et mettent en scène ces discussions. Dans un acte de bascule et de transgression. Car sortir du portrait classique de la Ve République voudrait, de facto, dire sortir de la Ve République, consubstantielle d’une certaine incarnation. Cela relève de la proposition politique. Antipatriarcale et écologique notamment.

«Qui de l’homme ou de l’humanité succombera le premier?» : c’est la dernière phrase de votre livre…

C’est complètement écologiste!

Pourquoi?

Quand j’écris cette phrase, ce n’est pas pour dire que les hommes vont tuer toutes les femmes. Mais que la façon dont les hommes usent de leur pouvoir va mener à une catastrophe écologique et sociale dépassant largement la question féministe.

Entretien publié dans Reporterre le 20 février 2021.

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