EXPOSÉ DES MOTIFS
La rentrée scolaire 2023 a été synonyme pour les Parisiennes et les Parisiens
d’augmentation des prix de tous les postes de la vie quotidienne. Elle a démontré l’augmentation
des difficultés rencontrées par les familles les plus modestes et de l’augmentation de la
précarité alimentaire. Ce phénomène n’est pas nouveau mais il s’est fait ressentir de plus en
plus durement au sortir de la crise de la Covid-19 et d’une situation géopolitique internationale
extrêmement conflictuelle. L’année 2023 a été marquée par l’explosion du prix de l’énergie et
des denrées alimentaires, étranglant de plus en plus des ménages déjà en difficulté, après une
année 2022 déjà sous le signe de la hausse des prix et de la baisse du niveau de vie de bon
nombre de ménages.
En 2022, la proportion de personnes en situation de privation matérielle et sociale a atteint 14%
de la population. Entre août 2021 et août 2023, selon l’Insee, les prix à la consommation ont
globalement grimpé de 10,5% en France, quand le prix de l’énergie a augmenté de 31%, alors
que les salaires n’ont pas crû en conséquence. Ainsi, ce sont 47% des ménages qui déclarent
avoir changé leurs habitudes alimentaires : 14% achètent moins quand 17% réduisent la qualité
de leur alimentation. Cela touche désormais des segments de la population qui étaient préservés
jusqu’à présent, tels que les classes moyennes.
Face à ces données alarmantes, au manque d’engagement de l’Etat, aux files d’attente dans les
distributions alimentaires toujours plus grandes, au cri d’alarme des associations et à
l’augmentation des bénéficiaires de l’aide alimentaire, une Ville comme Paris se doit de venir en
aide à ses habitant·es en leur proposant des solutions pour accéder durablement à une
alimentation abordable et de qualité.
Les associations d’aide alimentaire réalisent un travail remarquable pour pallier l’urgence des
situations de précarité alimentaire, et malgré leurs alertes concernant l’augmentation du
nombre de bénéficiaires, de l’inadéquation de leurs moyens face à cette hausse et des
changements de leurs publics, l’Etat n’est pas à la hauteur de ses responsabilités. Au-delà de
leurs missions d’urgence, elles assurent désormais une mission pérenne d’accès à
l’alimentation.
C’est dans cette perspective que s’inscrit la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA). Elle est
conçue comme un outil complémentaire qui vise la garantie d’un accès universel à une
nourriture saine et de qualité, indépendamment de la situation économique des Parisiennes et
des Parisiens, l’alimentation ne devant plus être la variable d’ajustement du budget des
ménages dans le besoin, a fortiori dans un pays dans lequel un·e français·e sur six ne mange pas
à sa faim (étude Crédoc, mai 2023).
Au-delà de l’accès à une nourriture en quantité suffisante, l’importance d’une alimentation saine
et qualitative est une véritable question de santé publique. Une mauvaise alimentation est
responsable de plus de 40% des décès liés à des maladies chroniques, dont les maladies
cardiovasculaires, le cancer et le diabète, selon un rapport de l’Agence nationale de sécurité
sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), paru en 2017. Les
contraintes budgétaires induisent des choix alimentaires vers une alimentation plus riche en
calories, mais pauvre en nutriments essentiels entraînant de nombreux cas d’obésité ou de
maladies chroniques chez les populations les plus vulnérables.
L’aide alimentaire ne peut pas être la solution de long terme pour répondre au défi de
l’insécurité alimentaire. Elle doit rester un moyen d’urgence et non une réponse pérenne. À cet
égard, la SSA se présente comme une solution structurelle et préventive, instaurant un droit
universel à l’alimentation.
A l’autre bout de la chaîne alimentaire, de nombreux agriculteurs et agricultrices sont
confrontés à d’importantes difficultés financières, se retrouvant dans l’incapacité de couvrir
leurs charges tout en répondant aux exigences du marché. Alors qu’ils peinent à dégager un
revenu suffisant pour vivre, ils sont nombreux à survivre grâce au RSA. D’après l’Insee, 18,5%
des ménages agricoles vivaient sous le seuil de pauvreté en 2018, soit presque deux fois plus
que ceux vivant dans un ménage actif.
Cette situation est accentuée par les bouleversements climatiques qui peuvent brusquement et
durablement dévaster des exploitations entières. Nos systèmes agricoles et alimentaires doivent
se transformer pour assurer des salaires décents, mais aussi pour limiter leur impact sur le
changement climatique, grâce à une production durable et respectueuse de l’environnement et
de la biodiversité, ainsi que des salaires décents, et pour accroître leur résilience face à cette
nouvelle donne. A Paris, l’alimentation est le deuxième poste d’émissions de gaz à effet de serre
(17% des émissions), ce qui en fait un axe de travail prioritaire dans le cadre de la révision du
Plan Climat 2024-2030.
Pour opérer cette transition vers des pratiques agricoles durables, des investissements
significatifs sont nécessaires, notamment pour la conversion des terres et l’adoption de
nouvelles techniques de culture. A travers le levier de la commande publique, la Ville de Paris
travaille à la structuration de filières durables, locales et assurant une rémunération juste pour
les agriculteurs et agricultrices.
En effet, depuis de nombreuses années, Paris noue des partenariats avec les territoires
producteurs pour alimenter ses cantines. Son troisième Plan Alimentation Durable 2022-2027
planifie la montée en puissance de ces coopérations et fixe un cap ambitieux pour une
restauration collective municipale 100% bio et durable : 75% de denrées labellisées bio, 100%
de produits de saison et 50% produites à moins de 250 km de Paris, réduction de la part de
produits carnés.
De plus, Paris coopère avec 7 collectivités et acteurs locaux dans le cadre d’AgriParis Seine,
association créée en 2023 pour faciliter le dialogue, la coordination des besoins et la
mutualisation des ressources entre territoires producteurs et consommateurs. Elle a pour
objectifs d’accompagner la structuration des filières, de cartographier l’offre et la demande, de
rechercher des cofinancements, et de plaider à différentes échelles en faveur d’une alimentation
et d’une agriculture durables.
Cependant, l’accès à une alimentation de qualité et durable hors restauration collective
demeure une problématique pour les ménages aux revenus modestes, en raison d’obstacles
socio-économiques majeurs. En effet, le coût souvent élevé des produits durables peut
décourager les ménages modestes, pour qui les dépenses alimentaires représentent une part
significative du budget. La perception de l’alimentation durable et des commerces proposant
une telle offre comme un privilège réservé aux classes aisées renforce en outre les barrières
symboliques et psychologiques. Enfin, un déficit géographique est observable dans certains
quartiers populaires, où l’offre commerciale en produits bruts, de qualité et durables est
particulièrement restreinte.
Ces dernières années, de nombreuses initiatives autour de l’alimentation durable ont émergé à
Paris, comme les épiceries en circuits courts ou des AMAP, parmi lesquelles des initiatives
proposant une offre à la fois durable et accessible : épiceries proposant une double tarification
comme Saveurs en partage dans le 20e arrondissement, repas à prix libre dans des cantines
solidaires, groupements d’achat comme VRAC…
Toutefois, plusieurs de ces structures rencontrent des difficultés, d’abord suite à l’épidémie de
Covid-19, puis en lien avec l’inflation et l’augmentation des coûts de l’énergie. Consciente de
leur intérêt public, la Ville de Paris soutient ces structures, par exemple via des aides à
l’installation et à la consolidation dans le cadre de l’appel à projets Alimentation durable et
solidaire, ou encore via des aides d’urgence.
Aussi, la mise en place d’une Sécurité sociale de l’alimentation permettrait à la fois de soutenir
la transformation de notre système alimentaire et agricole, tout en structurant les filières et en
assurant un débouché aux producteurs ainsi qu’aux initiatives de l’ESS.
Vers une Sécurité sociale de l’alimentation
Dans ce contexte, plusieurs villes comme Lyon, Montpellier, Bordeaux, Grenoble ou
encore Toulouse expérimentent une Sécurité sociale de l’alimentation (SSA). Ce dispositif vise à
garantir un accès universel à une nourriture saine et de qualité indépendamment de sa situation
économique. Il repose sur le principe de droit à l’alimentation, qui reconnaît l’accès à une
nourriture adéquate comme un droit fondamental. Ces différentes expérimentations permettent
de mettre en œuvre une démocratie alimentaire au niveau local en associant des acteurs de
champs divers, de la démocratie participative, de la lutte contre la précarité, de l’alimentation et
de la défense d’une agriculture de qualité.
Inspirée du système de Sécurité sociale en matière de santé, le fonctionnement d’une SSA
repose sur 3 piliers : universalité de l’accès, conventionnement organisé démocratiquement et
financement basé sur la cotisation sociale. Si la dénomination de “Sécurité sociale de
l’alimentation” recouvre plusieurs modèles de dispositif, celui qui correspond le mieux à la mise
en œuvre des 3 piliers énoncés est celui de la Caisse alimentaire commune. Librement inspirées
de notre histoire sociale avec la création de mutuelles et de caisses, il s’agit d’initiatives locales
visant à pallier le manque d’un droit que nous souhaiterions voir exister à l’échelon national.
Dans ce modèle, le dispositif est accessible à tou.te.s les habitant.es volontaires, en situation de
précarité ou pas, dans un objectif de mixité sociale et de non-stigmatisation. Chacun·e cotise en
fonction de ses moyens et tou·tes dépensent mensuellement une somme allouée, par exemple
100€, dans un circuit de distribution conventionné.
La caisse est gérée de manière démocratique par un Comité citoyen qui décide de son
fonctionnement : montant du budget mensuel alloué, modalités et montant de la contribution,
critères de sélection des enseignes et des produits conventionnés… Cette gestion démocratique
garantit que les décisions prises reflètent les besoins et les préoccupations de l’ensemble de la
population, notamment des groupes les plus vulnérables.
Trois arrondissements ont d’ores et déjà exprimé leur volonté de s’inscrire dans ce dispositif
(14e, 18e et 20e arrondissements). Il reste entendu que cette liste est susceptible d’être élargie
sous réserve de l’expression d’intérêt de la part d’un ou deux arrondissements volontaires.
Le projet sera déployé en plusieurs phases :
● Premier trimestre 2024 : phase de préfiguration permettant de construire le modèle du
dispositif avec les mairies d’arrondissement, les partenaires et les citoyens et citoyennes
;
● Deuxième trimestre 2024 : phase d’ingénierie, menée par le porteur de projet retenu,
avec recrutement des premiers postes ;
● Septembre 2024 : lancement opérationnel de l’expérimentation pour 1 an, en
agrandissant le groupe de participant·es de manière progressive ;
● Fin 2025 : mise en perspective et enseignements de l’expérimentation ; préparation de
conditions favorables à l’éventuel déploiement de l’expérimentation sur d’autres
territoires.
Coût global de fonctionnement et équilibre budgétaire du dispositif
Comme pour les autres collectivités où elle a été mise en place, la Sécurité sociale de
l’alimentation rend compte d’un équilibre budgétaire dont les recettes sont constituées des
cotisations des foyers retenus dans le dispositif, ainsi que d’une subvention d’équilibre de la
Ville, et plus marginalement, de co-financements (ministère des Solidarités, Métropole du Grand
Paris, fondation Nina Carasso etc).
Le coût en ressources humaines par arrondissement s’élèverait à 44 000 € pour les 6 mois de la
première phase de préfiguration, puis 54 500 € pour les 4 mois de la phase d’expérimentation,
soit 98 500 € pour l’année par territoire retenu. Les besoins RH sont détaillés en annexe.
La caisse en elle-même consistera donc en un budget alloué de 100 € pour 100 foyers par
arrondissement, sur une durée de 4 mois, pendant la phase d’expérimentation. Cela fait donc
40 000 € au total sur 4 mois.
Il faut déduire de cette somme l’hypothèse d’une cotisation moyenne de 20 € par foyer et par
mois ; soit une subvention de la Ville pour chacune des 100 personnes, de 80 € par mois, sur 4
mois, soit 32 000 €.
Par comparaison, la caisse de Montpellier fonctionne avec une cotisation moyenne de 40 € par
mois par foyer, celle de Bordeaux 60 €. L’hypothèse retenue pour le dispositif parisien est donc
particulièrement prudente.
Le coût du dispositif serait donc de 178 500 € par arrondissement, dont 138 500 € de frais de
fonctionnement et 40 000 € pour la caisse (sur 4 mois, pour 100 personnes).
L’équilibre budgétaire de la caisse est détaillé en annexe.
Compte tenu de l’intérêt significatif que présente à de nombreux égards la mise en place d’un tel
dispositif, je vous propose d’approuver l’expérimentation d’une Sécurité sociale de
l’alimentation à Paris.