Il faut sanctuariser tous les espaces non bâtis, voire déconstruire la ville.
Les écologistes s’opposent souvent à la gauche non écologiste sur des programmes immobiliers, comme dernièrement à Paris (1). Faut-il consacrer le foncier des villes à la construction de logements sociaux ou de jardins ? Par son opposition au logement social, la droite s’affiche souvent du côté des écologistes et la gauche non écologiste crie alors à la trahison de classe. Critique que nous entendons moins quand cette même gauche s’allie avec cette même droite pour défendre des grands projets inutiles comme la tour Triangle. Pourtant, cette opposition est fondée sur la « tragédie des communs » présentée par Garrett Hardin en 1968 (2). La surexploitation d’une ressource, ici le foncier, accélère l’imperméabilisation des sols et détruit la capacité des écosystèmes à créer des îlots de fraîcheur, une captation naturelle du CO2 à travers les arbres et la photosynthèse, dégrade les conditions de vie à travers une surdensification dans les lieux d’habitation.
Pendant longtemps, la défense d’une mixité entre le logement et les espaces verts a été défendue, mais aujourd’hui cela bute sur l’insoutenabilité du développement des villes. Celles-ci vont devenir de plus en plus invivables, en raison notamment de l’augmentation accélérée des températures, du déplacement des populations paupérisées vers les villes qui concentrent de plus en plus les richesses, de la montée des eaux sur les côtes…
Face à cela,les scientifiques disent qu’il reste une décennie pour agir avant de sombrer dans des processus irréversibles. Cela signifie qu’il faut sanctuariser tous les espaces non bâtis, voire déconstruire la ville, revoir donc la logique des plans locaux d’urbanisme, en finir avec cette vision de répartition équilibrée des fonctionnalités des villes pour centrer le développement de celles-ci sur leur résilience et donc le renforcement de la nature en leur sein. Le choix ne se limite pas entre l’étalement urbain, qu’il faut nécessairement arrêter, et la densification. Il faut réhabiliter l’aménagement des territoires car la densification humaine a été variable selon les territoires et les périodes. Aujourd’hui, des territoires ont été désertés car « pas assez productifs », alors que d’autres concentrent des personnes en très grande précarité.
Par ailleurs, nous devons revisiter la question du logement social en ne nous focalisant pas uniquement sur l’offre mais aussi sur les prix. La hausse du prix de l’immobilier compte plus dans le départ des classes populaires du centre des métropoles que l’insuffisance de l’offre. Depuis les travaux d’Alain Lipietz, nous savons que le marché ne permet pas de répartir équitablement la construction des logements entre le privé et le social à cause de la rente foncière (3) qui surenchérit le coût du logement dans les métropoles. Une dissociation entre le prix du foncier et le bâti, comme le permet l’office foncier solidaire, permet de limiter cette rente. Ici comme ailleurs, il faut revoir nos certitudes pour mettre en œuvre les politiques publiques qui rompent avec un productivisme dangereux pour nos sociétés.
(1) « À quoi joue Ian Brossat ? », Pierre Jacquemain, 26 janvier 2021, www.regards.fr
(2)« The Tragedy of the Commons », Garrett Hardin,Science__, vol_._ 162.
(3) « Le tribut foncier urbain aujourd’hui : le cas de la France », Alain Lipietz, Les Cahiers marxistes__, n° 243, février-mars 2013.
Chronique de Jérôme Gleize parue dans Politis le 24 février 2021.