Monsieur Alexandre BOMPARD,
Président, directeur général du groupe Carrefour
Le vendredi 09 septembre 2022, Paris,
Monsieur le Président directeur général,
En septembre 2021, le groupe Carrefour annonçait entrer au capital de l’entreprise française de livraison express Cajoo, participant ainsi à une levée de fonds de 40 millions d’euros permettant à l’entreprise de quick-commerce (également dénommé dark store) d’accélérer son développement, dans un secteur très concurrentiel dont l’enjeu est de prendre le contrôle de ce marché créé de toute pièce. En mai 2022, le leader allemand du quick-commerce Flink mettait la main sur Cajoo, devenant le partenaire exclusif de Carrefour qui en retour entrait au capital de la startup.
Ces prises de participation n’ont pas manqué de nous étonner dans la mesure où votre enseigne communique ouvertement sur sa volonté de mettre au coeur de ses activités la responsabilité sociale et environnementale à travers des engagements tels que “le soutien à l’économie locale”, “le respect de la santé, de la sécurité et des droits de l’Homme au sein des chaînes d’approvisionnement” ainsi que “le soutien au commerce équitable et la promotion d’un salaire décent”. Par ailleurs, le groupe Carrefour s’est engagé à atteindre des objectifs très ambitieux de réduction de ses impacts climatiques et environnementaux.
Or, vous ne pouvez ignorer que le modèle économique du quick-commerce repose sur une promesse – la livraison en quelques dizaines de minutes des produits de consommation courante – qui ne peut être honorée qu’au prix de conséquences sociales et écologiques désastreuses.
Ainsi, plusieurs employés de ce secteur nous ont rapporté des conditions de travail effarantes liées à la cadence insupportables des livraisons : épuisement, risque d’accident lors des livraisons à deux-roues, dépassement massif des horaires, etc… Un article de Challenges du 19 mai 2022 ainsi qu’un article très récent de La Croix, notamment, sont venus confirmer ces témoignages et la multiplication des arrêts de travail. Ce type d’activité nous fait revenir plus d’un siècle en arrière en termes de droit du travail. Les employés ont également fait état de gaspillage alimentaire massif étant donné l’absence d’une chaîne logistique efficace. Il faut ajouter à cela les infractions quasi-systématiques au droit de l’urbanisme pour implanter les entrepôts, les nuisances pour le voisinage dû au va-et-vient incessant des livraisons en particulier nocturne et la concurrence au petit commerce local.
Au-delà de tout ce qui vient d’être énoncé, c’est la philosophie même du quick-commerce qu’il convient de remettre en cause : le toujours plus vite, pour satisfaire « les envies immédiates des client-es », qui d’un clic encourage une société de surconsommation ayant mené nos sociétés dans l’impasse écologique.
Fort de ce constat, au mois de mai dernier, à l’initiative des écologistes, le Conseil de Paris a adopté un vœu appelant à ce que la capitale devienne “un territoire zéro dark store”. Par ailleurs, à la suite de la sortie d’un projet de décret ministériel, une alliance des maires des grandes villes, toutes couleurs politiques confondues, ont manifesté leur vive opposition au système même du quick-commerce, ce qui a amené le gouvernement a donné raison aux collectivités locales. La ministre déléguée au commerce a annoncé de prochaines mesures pour restreindre fortement l’implantation de ce type d’entrepôts, confirmant ainsi l’irrégularité de la plupart des implantations actuelles.Nous ne doutons pas qu’un groupe de la taille et de la responsabilité de Carrefour prendra la décision qui s’impose pour accompagner le souhait du territoire où il est implanté et se montrer à la hauteur du rôle dont il se prévaut en faveur de la transition écologique et sociale, en vous détachant de toute activité de quick-commerce, en cohérence avec le discours que vous portez
Je vous prie de croire, Monsieur le Président directeur général, en l’assurance de ma sincère considération.
Fatoumata KONÉ, présidente du Groupe Les Ecologistes au Conseil de Paris